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Intelligence artificielle et protection juridique, entretien avec Maitre Betty Sfez

Entretien réalisé par Hortense Mary, réseau WoMen@work@hpe

hortense Betty Vivatech pro .jpgL’intelligence artificielle (IA) est un sujet qui soulève de nombreuses interrogations non seulement économiques, sociales ou éthiques, mais également juridiques. Au-delà des débats parfois passionnés sur la question centrale de la responsabilité, l’IA pose d’autres questions reflétant le quotidien des entrepreneurs : comment protéger et valoriser l’innovation reposant sur un système d’intelligence artificielle ? Maître Betty Sfez, avocat au barreau de Paris, expert en propriété intellectuelle et droit du numérique, nous apporte quelques éléments de réponse.

Quelle est la première préoccupation juridique d’un entrepreneur en matière d’IA ?

La médiatisation des débats sur la responsabilité lors d’un accident impliquant un véhicule autonome masque les préoccupations réelles des entreprises. Cela ne concerne que peu d’acteurs économiques à ce jour et les questions légitimes d’ordre juridique sont encore sans réponse.

Aujourd’hui, de nombreuses PME et startups françaises développent des services intégrant de l’IA : c’est une réalité. Ces entreprises sont avant tout soucieuses de protéger le fruit de leur travail, leur investissement, leur innovation…. En effet, en présence d’une telle technologie qu’est l’IA, la commercialisation de produits et services implique de prendre des précautions. Le droit est un outil de protection, et donc de valorisation, pour ces entreprises.

La règlementation actuelle protège-t-elle les porteurs de projets IA ?

Il n’existe pas à ce jour de règlementation spécifique à l’intelligence artificielle, tant à l’échelle nationale qu’européenne ou internationale. Des réflexions et des travaux sont en cours dans l’attente de trouver un consensus. En France, nous ne sommes pas pour autant face à un vide juridique, bien au contraire. Les règlementations sur le droit d’auteur, la propriété industrielle et le secret des affaires constituent un premier socle de protection non négligeable pour les « créateurs » d’IA.

Alors, pourquoi tant de débats sur la législation de l’IA ?

Car la protection issue de ces règlementations est imparfaite. En effet, l’IA est un objet juridique complexe et hybride. L’IA ne se réduit pas à un logiciel. Ainsi, une technologie reposant sur l’IA est composée de plusieurs éléments : algorithme, logiciel, base de données, design du robot, etc. Il n’existe pas de protection unique mais un maillage de protection qu’il est difficile d’appréhender. Rappelons à ce titre que l’algorithme, en tant que principe mathématique, n’est pas protégé par le droit d’auteur. Il n’est pas pour autant dénué de toute protection à travers le logiciel ou le brevet. Toutefois, se constituer une protection n’est pas évident face à une technologie « apprenante » ou à un algorithme changeant constamment : quelle est la valeur d’une invention qui n’est plus la même quelques temps après le dépôt d’une demande de brevet ?

Comment accompagnez-vous les entreprises face à cette complexité ?

Nous avons un vrai rôle de conseil et incitons nos clients à anticiper la protection juridique le plus tôt possible. Sur la base des différents régimes juridiques de protection existants, nous définissons avec eux leur stratégie. Cette stratégie implique à minima les quatre points suivants :

  • obtenir les droits de prestataires tiers ayant contribué au développement de la technologie
  • organiser au sein de l’entreprise la confidentialité sur le projet d’IA tout au long de son développement
  • conserver l’historique des créations
  • réaliser des dépôts probatoires régulièrement.

La formalisation de cette stratégie de protection passe systématiquement par la rédaction et la négociation contractuelle (NDA complexe, contrat de partenariat multi-parties, etc.). Le contrat est un instrument incontournable à ne pas négliger, car il vient pallier le caractère imparfait de la règlementation actuelle.

Le  « concepteur » de l’IA peut donc protéger sa création, mais qu’en est-il des éventuelles créations produites par elle ?

On peut aller plus loin en distinguant, d’une part, l’œuvre créée avec l’assistance d’une intelligence artificielle, et d’autre part, l’œuvre créée de façon autonome par le programme informatique (ou robot). Cela suscite de réels questionnements liés au régime en vigueur de la propriété intellectuelle. En effet, notre législation actuelle repose sur le principe de l’originalité de l’œuvre qui conditionne sa protection. Or, cette originalité découle de la preuve du processus créatif de l’auteur de l’œuvre : personne physique. L’être humain a donc à ce jour le monopole créatif. Toutefois, avec la généralisation du recours à l’intelligence artificielle, la frontière entre création réalisée par une personne physique et création produite par un ordinateur va devenir de plus en plus floue. Notre cadre légal doit donc évoluer sur ce point afin d’apporter des solutions concrètes aux entrepreneurs.

 

Lire également : «  L’IA est une compétence clé pour tout ingénieur du 21 ème siècle. » Entretien avec Raja Chiky

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À propos de l'auteur

Joanna_K

Social Media Lead at HPE